Les arts martiaux et la mort: Avez-vous peur de la mort ou peur de mourir?
Bushido, guerriers indomptables, points vitaux, techniques secrètes, … les réseaux sociaux vous offrent les illusions les plus parfaites pour vaincre un adversaire en oubliant un paramètre incontournable, la gestion des émotions qui reste à mes yeux (avec la respiration) la solution pour gagner un combat sans …combattre : Au fait, avez-vous peur de la mort ou peur de mourir ? Seriez-vous capable de vous battre jusqu’à votre dernier souffle pour l’honneur ? La mort est un défi de la vie, pas un ennemi.
Aujourd’hui tout le monde parle à tort et à travers du Bushido, ce code strict qui exigeait loyauté et honneur jusqu'à la mort. « Si un samouraï échouait à garder son honneur, il pouvait le regagner en commettant le seppuku (suicide rituel). Sous sa forme la plus pure, le bushido exige de ses pratiquants qu'ils jugent efficacement le moment présent par rapport à leur propre mort, comme s'ils n'étaient déjà plus de ce monde. C'est particulièrement vrai pour les formes initiales de bushido ou de Budo. D'ailleurs, les traditionalistes critiquent les formes plus tardives : « ils raisonnent clairement avec l'idée de rester en vie dans l'esprit. » « Le vrai courage consiste à vivre quand il est juste de vivre, à mourir quand il est juste de mourir » (Hagakure, Yamamoto Jôchô). Qui en est capable aujourd’hui dans nos sociétés dites modernes, aseptisées, et dirigées par des énarques formatés baignant dans les certitudes?
Et vous, comment appréhendez-vous la mort ? Personnellement je n’ai pas peur d’elle, mais le jour ou elle viendra sonner à ma porte, je préfère être absent. J’ai vu des inconnu(e)s mourir sous mes yeux. Le jour ou mon père a rendu l’âme, je me croyais capable d’affronter cette « épreuve » car j’avais appris à gérer mes émotions… Je baignais dans les certitudes et la nature m’a rappelé à l’ordre sans aucune forme de procès. En tenant la main de mon cher père, je fus incapable de prononcer le moindre mot, la voix étranglée par l’émotion de l’instant, incapable de lui dire « je t’aime » à celui qui partait pour l’autre versant. Ce fut la plus grande leçon d’humilité que j’ai reçue à ce jour de la part de la vie et de la mort. Malgré mes connaissances et mes expériences éprouvées sur le terrain, mon esprit fut « anesthésié » car un être cher vivait ses derniers instants dans mes bras.
L’adage des anciens « Un homme sûr de lui est un homme sans défense, dangereux pour lui-même et pour les autres » est à retenir en toutes circonstances. Vous comprendrez pourquoi les « combattants » d’opérettes capables de terrasser King kong avec un nunchaku d’une tonne me « font rire » car la notion de l’émotion sur le terrain est trop vite occultée dans les dojo. Même si elle fait partie intégrante de certains corps « spécialisés » militaires ou civils (négociation, comportemental…), on n’est jamais sûr de rien...
Depuis la mort de mon père, je comprends que l’unité absolue est la base de l’universalité. La mort fait partie intégrante de la vie et elle est un des « quatre défis fondamentaux » de l'existence humaine. C’est aussi l’une des raisons pour laquelle j’insiste sur la protection préventive et personnelle lors de mes séminaires en arts martiaux, le travail en amont et la mise sous éteignoir des 7 ennemis qui dictent notre conduite (l’arrogance, l’ignorance, le déni, l’égocentrisme, l’excès de confiance, les certitudes et les préjugés). Nous sommes certes Maîtres de notre esprit mais esclaves de nos pensées.
Pour comprendre la mort, il faut la respecter et l’accepter :
Alors utiliser le mot Bushido à toutes les sauces car le message inculqué aujourd’hui est biaisé. Hagakure, Yamamoto Jôchô écrivait : « Bushido signifie la volonté déterminée de mourir. Quand tu te retrouveras au carrefour des voies et que tu devras choisir la route, n'hésite pas : choisis la voie de la mort. Ne pose pour cela aucune raison particulière et que ton esprit soit ferme et prêt. Quelqu'un pourra dire que si tu meurs sans avoir atteint aucun objectif, ta mort n'aura pas de sens : ce sera comme la mort d'un chien. Mais quand tu te trouves au carrefour, tu ne dois pas penser à atteindre un objectif : ce n'est pas le moment de faire des plans. Tous préfèrent la vie à la mort et si nous nous raisonnons ou si nous faisons des projets nous choisirons la route de la vie. Mais si tu manques le but et si tu restes en vie, en réalité tu seras un couard. Ceci est une considération importante. Si tu meurs sans atteindre un objectif, ta mort pourra être la mort d'un chien, la mort de la folie, mais il n'y aura aucune tache sur ton honneur. Dans le Bushido, l'honneur vient en premier. Par conséquent, que l'idée de la mort soit imprimée dans ton esprit chaque matin et chaque soir. Quand ta détermination de mourir en quelque moment que ce soit aura trouvé une demeure stable dans ton âme, tu auras atteint le sommet de l'instruction du bushido. »
La mort n’a pas la même résonance dans notre société occidentale qu’en Russie, en Afrique, ou en Asie par exemple. « Comment définir la mort ? Qu’est-ce que la mort biologique ? Quelles sont les modalités du « mourir » aujourd’hui ? Va-t-on vers une mort « maîtrisée » ? Comment notre société gère-t-elle le deuil ? Penser la mort, c’est affronter la première des certitudes. La thanatologie étudie la mort dans ses composantes physiques, sociales, spirituelles, culturelles. Paradoxalement, plus le savoir sur ce sujet s’accumule, plus celui-ci nous pose des questions auxquelles il est difficile de répondre. En questionnant notre rapport à la mort, c’est bel et bien l’esprit de notre époque et notre imaginaire collectif qui se révèlent.
A ce destin scandaleux, nul ne s’habitue jamais. Jusqu’où ce refus est-il normal ? Quand devient-il pathologique ? Voici comment l’idée de la mort s’ancre en nous. Vous amènera-t-elle vers le néant ou bien au seuil d'un autre monde ? Reste-t-elle une pensée discrète ou devient-elle une angoisse permanente ? Chacun de nous aborde l'idée de la mort selon son vécu propre, ses convictions et croyances mais aussi ses façons de canaliser la peur inhérente à ce phénomène.
« Pour la psyché humaine, la mort est le paradoxe des paradoxes. C’est notre destin, donc un phénomène bien ordinaire, pourtant, écrit le philosophe Vladimir Jankélévitch dans La Mort (Flammarion, 1977), nul ne s’y habitue : "Chaque mort étonne ou scandalise, comme si elle était la première." En même temps, nous réussissons à vivre, à aimer, à agir malgré la menace quasi quotidienne de notre trépas… Serions-nous héroïques ou inconscients ? Rares sont ceux qui se disent : "Puisque je dois mourir, je commence dès aujourd’hui à me laisser dépérir, à refouler en moi tout désir." En fait, les pathologies directement liées à la peur de la mort sont peu nombreuses. Cependant, pour définir, dans la relation à la mort, la limite entre le normal et le pathologique, encore faut-il cerner les processus par lesquels elle s’ancre en nous, ainsi que leurs effets.
"L’expérience de la naissance est la première expérience de l’émergence de la mort", déclarait Françoise Dolto dans Parler de la mort (Mercure de France, 1998). Notre venue au monde nous installe parmi ceux qui vont mourir. Elle implique d’emblée une perte : celle du placenta protecteur vécu par le nouveau-né comme une part de lui-même. Dès l’âge de 2-3 ans, l’enfant peut réaliser qu’une personne de son entourage est morte. Mais il s’imagine qu’elle est partie habiter dans un autre univers d’où elle reviendra peut-être. Pour un petit, mourir c’est vivre autrement. Inutile de s’inquiéter s’il ne pleure pas toutes les larmes de son corps et manifeste surtout de la curiosité ("Où il est papy, maintenant ?"). La mort intrigue les enfants, comme la sexualité et la procréation. En revanche, une absence de questionnements de sa part signale une difficulté : l’enfant se tait pour ménager ses parents s’il saisit leur incapacité à parler de ce décès. Or ce silence risque de le rendre inapte, plus tard, à assumer la confrontation avec la mort… sans se mortifier.
La peur s’installe
C’est une étape normale du développement de l’enfant. Vers 7 ans, l’idée de la mort devient très active. "J’y pensais tous les soirs avant de m’endormir, se souvient Delphine. J’étais angoissée à l’idée que j’allais mourir un jour. Pour me rassurer, j’ai imaginé un personnage, Monsieur Tout-le-Monde, nécessairement promis à la mort. Puis je me suis identifiée à lui. Alors, j’ai pu me dire que mourir était une chose normale et ma peur s’est atténuée." Certains enfants, eux, ne cessent de craindre que "maman meurt". Cette inquiétude provient d’un malaise ressenti par le tout-petit qui, lorsque sa mère s’absente, a peur qu’elle ne revienne pas, analyse Ginette Raimbault, psychanalyste et auteur de L’Enfant et la mort (Dunod, 1998). D’ordinaire, ce type d’angoisse s’apaise avec l’apprentissage de la solitude.
Très tôt la conscience de la mort donne lieu à une peur des morts inspirée, selon Freud, par la culpabilité : nos relations aux autres sont toujours teintées d’ambivalence, l’être le mieux aimé est simultanément haï. Aussi, quand une personne proche s’en va, nous nous sentons coupables – plus ou moins consciemment – des sentiments hostiles que nous lui portions. D’où les scénarios d’enfants et les dessins campant monstres et fantômes. Ceux-là mêmes que nous retrouvons dans la littérature fantastique et les films d’épouvante. Toutefois, sauf situation névrotique où la culpabilité demeure inentamable, notre psychisme sait aussi se protéger et transformer les morts en êtres bienveillants. Mais, d’une façon générale, les morts impressionnent. Les précautions oratoires adoptées pour les désigner témoignent de notre embarras. D’un défunt, on préfère dire qu’il est parti ou plongé dans le sommeil de l’éternité. Saint Paul nommait les morts "ceux qui dorment".
Moi aussi, je vais mourir…
C’est la mort des autres qui nous fait prendre conscience de notre mortelle condition. "Moi aussi, je vais mourir." Un constat propre à l’homme et impossible pour l’animal qui vit dans l’ignorance du sort qui l’attend. Etre un homme c’est craindre la mort et inventer des rituels pour marquer son passage. Les spécialistes de la préhistoire ne parlent d’"hominisation" qu’à partir du moment où les grands singes velus que nous tenons pour nos premiers ancêtres se sont mis à honorer leurs morts par des rites funéraires. Pourquoi ont-ils, dans la foulée, inventé les religions ? Probablement pour essayer de donner un sens à la vie et des images à la mort, univers de l’invisible et du non-représentable par excellence. Ce n’est pas un hasard si la majeure partie de la littérature philosophique s’emploie à nous aider à la penser. Pour mieux la dénier. "Il est inutile d’y songer, déclare Epicure. Tant que nous sommes là, elle n’est pas ; quand elle est là, nous ne sommes plus." Ou pour nous persuader de l’accepter avec sérénité. Grâce à la philosophie. "On peut apprendre à mourir", assure Montaigne.
Si craindre la mort de parents, de proches, malades ou vieillissant, est légitime, être obsédé par la perspective du décès de tous les êtres qui nous entourent est névrotique. Tout comme la crainte perpétuelle de certaines mères pour la vie de leurs enfants. Pour la psychanalyse, ce type de symptômes est l’effet de vœux inconscients de mort transformés dans la conscience en obsession permanente de la mort.
Vouloir rester en vie, pour ceux qui ont besoin de nous, est une autre préoccupation très courante. Eviter les situations susceptibles de causer prématurément notre décès n’a rien de pathologique. En revanche, se sentir en situation de danger permanent, sans raison, est plus problématique. On ne monte jamais dans une voiture, ni dans un bateau, on est obsédé par la pensée que nos proches vont disparaître… Certains individus, par superstition névrotique, frémissent d’horreur dès qu’ils lisent ou entendent le mot "mort", signe qu’il pourrait leur arriver une chose terrible.
En psychanalyse, la sensation constante de mort imminente, les angoisses morbides chroniques ont généralement leur source dans des conflits psychiques non résolus.
Que subsistera-t-il de notre moi ?
Pourquoi meurt-on ? Que se passe-t-il après ? De la mort dans sa concrétude, on ne sait rien. Nous n’avons que des fantasmes, c’est-à-dire un savoir inventé pour se rassurer, insiste Françoise Dolto. Les religions – fantasmes collectifs, selon Freud – nous font espérer un au-delà, une survie de "l’âme" : expliquer que Dieu rappelle très tôt à lui ceux qu’il aime est une façon de mieux supporter ce scandale absolu qu’est la mort d’un enfant. Elles ont aussi insufflé l’idée que la mort est, à l’occasion, une libération, le remède le plus efficace aux blessures de la vie. Mais leur perte d’influence laisse l’Occidental d’aujourd’hui plus démuni que jamais. Il ne dispose plus des mots et des gestes qui permettaient jadis de faire face à la Grande faucheuse. D’où sa tendance à cloîtrer dans les hôpitaux, à éloigner de son regard malades et vieillards et à négliger les rites funéraires. Puisque la mort ne peut être pensée qu’à partir de l’unique expérience dont nous disposons – la vie –, l’illusion est nécessaire : après le moment fatal, quelque chose de notre moi subsistera. D’où nos préférences sur la façon dont sera traité notre cadavre.
L’impossibilité de réaliser que, une fois mort, notre moi cessera d’exister, est à la base d’un fantasme très répandu : la peur d’être enterré vivant. Plus que la mort abstraite, c’est le "mourir" qui nous effraie. Evoquer ce moment de passage entre vie et trépas, où l’on se dirait "je meurs", donne le vertige. Mais au-delà de cette crainte métaphysique, il existe aussi la crainte très banale de la "sale" mort, celle qui fait souffrir. La plupart d’entre nous souhaite périr dans son sommeil, sans rien savoir de ce "mourir". Mieux vaut une crise cardiaque brutale à la lente agonie qui laisse le temps de penser à l’inévitable.
La mort, moteur de la vie
La mort impersonnelle, abstraite, nous la refusons tous : "Chaque individu veut mourir de sa mort “à lui”", constatait Freud dans ses Essais de psychanalyse (Payot, 1989). C’est pourquoi il agit, tente de se construire son propre destin. Selon les psychanalystes, c’est l’aiguillon de la mort qui nous pousse à faire des enfants grâce auxquels nous survivrons au-delà du néant. C’est lui aussi qui incite l’artiste à créer pour immortaliser son nom. James Joyce, auteur de textes particulièrement obscurs, l’affirmait clairement : "J’écris pour donner du travail aux universitaires pour les siècles à venir."
En fait, vivre éternellement serait sans doute d’un ennui sans fin. Car le désir de vivre, de créer, d’aimer se nourrit d’obstacles. Et, sans l’horizon de la mort, cette énergie intérieure s’éteindrait probablement à tout jamais. Autrement dit, nous avons psychologiquement besoin de la mort pour vivre.
Rédiger son testament est sans doute l’acte qui nous confronte le plus à la mort. Néanmoins, nous n’y croyons jamais concrètement. "Dans l’inconscient, chacun est persuadé de son immortalité", écrit Freud dans ses Essais de psychanalyse (Payot, 1989) : l’inconscient ignore le temps et, par conséquent, la mort. Même si nous avons vu des parents, des amis disparaître, notre inconscient nous murmure à l’oreille : "Toi, tu ne mourras pas." Le malade qui demande à être euthanasié ne croit pas davantage qu’il va mourir : il veut surtout abréger ses souffrances. Mais, à cet élan qui nous jette parfois dans les bras de la mort, il existe une autre explication. Selon Freud, en nous s’affrontent deux types de pulsions : les pulsions sexuelles, d’auto-conservation (qu’il nomme "Eros") et la pulsion de mort (qu’il appelle "Thanatos") présente en nous dès la naissance.
Chez l’individu normal, les deux sont associées et c’est cette union qui produit un mouvement vers la création ou la procréation. Cependant, il arrive que les péripéties de l’histoire personnelle d’un individu (mauvais traitements, abandon ou deuils précoces mal surmontés) entraînent une disjonction de ces forces. Et là, la mort mène la danse… »
Sources :
Livre de Louis-Vincent Thomas Collection : Que sais-je ?
Isabelle Taubes/ www.psychologies.com