Dragon Magazine : Réflexions La self défense est-elle encore crédible ? (1ère partie) Par Eric Garnier Sinclair
La première des priorités du combat actif, les yeux
Voici le début de l’article qui paraîtra prochainement dans Dragon magazine.
« A la suite des attentats du 13 novembre 2015, le gouvernement a lancé une campagne de sensibilisation pour protéger et mieux préparer les citoyens face à la menace terroriste : « Elle permet à chacun de connaître, comprendre et assimiler en amont les comportements de base à tenir en pareille situation ». En parallèle, le guide « Vivre avec la menace terroriste (1) » offre à ses lecteurs des règles basiques à suivre en cas de rupture de la normalité. Le succès de cet ouvrage bien ficelé démontre que le choc psychogénique engendré par ces évènements meurtriers est profondément ancré dans les esprits. L’engouement des lecteurs de Dragon magazine pour les reportages sur les approches neurobiologique et cognitive du combat (co-écrits avec Christophe Jacquemart - Auteur des livres « Neurocombat ») prouve qu’il existe un intérêt accru pour les nouvelles donnes de la défense personnelle. On ne peut le nier, la sécurité urbaine est redevenue un sujet central. Face à ce constat, de nombreuses questions légitimes me sont posées lors de mes formations (défense personnelle ou en survie tout-terrain) :Pourquoi la psychologie comportementale et la gestion émotionnelle ne sont-elles pas les socles de la self défense conventionnelle ? Pourquoi n’enseigne-t-on pas les comportements à suivre en cas de fusillades ou de prises d’otages ? Pourquoi les premiers secours, les principes de survie, les réflexes et les attitudes en cas d’agressions animale ou naturelle, d’attaque chimique ou biologique ne sont-ils pas inclus dans les modules officiels ? Les instructeurs sont-ils vraiment en adéquation avec la réalité du terrain ? Les pédagogies reposant sur des codifications imposées sont-elles devenues obsolètes et dépassées ? Les grades et la compétition sont-ils contreproductifs ? Le mot self défense a t-il la même valeur une fois émasculé pour des raisons sportives (compétition) ? Est-ce que les gardiens du temple font la différence entre les gens qui pensent la vie et ceux qui la vivent ? Autant de questions qui demandent réponses, conseils et surtout réflexions.
Etant nullement soumis à une bien-pensance martiale, je n’hésite pas à remettre en question les codifications imposées en self défense conventionnelle, que trop de pratiquants pensent acquises. A travers les formations que j’anime (combat rapproché, survie, santé, psychologie comportementale...), j’ai constaté que les carences reposaient en grande partie sur les verrouillages comportementaux tels, l’arrogance, l’ignorance, l’excès de confiance, les certitudes, le déni, les préjugés, l’égocentrisme, la mystification, la manipulation ou encore le mensonge. En étant libre d’être qui je suis, je persiste et signe : La défense personnelle passive et active n’est plus en adéquation avec les besoins réels de notre société. Il est urgent d’enseigner aux élèves les bonnes priorités à adopter, avant, pendant et après un danger, une agression ou une catastrophe. Même les responsables du GIGN ont pris conscience « que les attentats de novembre vont modifier leurs modes d'intervention ». Le ministère de l’intérieur propose au grand public de télécharger sur son site des conseils fondamentaux pour avoir les bons réflexes le jour J (en cas de menace terroriste). Il prépare une nouvelle fiche pratique sur une attaque chimique.Alors quid des responsables des courants « self défense » ?
(1) Guide écrit par Olivier et Raphaël Saint-Vincent, chargés de la prévention du risque terroriste au sein de l'Union des Sociétés d'Education Physique et de Préparation Militaire - USEPPM, préfacé par le Colonel Chaput, médecin spécialiste du stress opérationnel et du traumatisme psychique)
Faut-il rénover la self défense actuelle ? Si oui, comment faire ?
Cette question pourrait être un sujet soumis aux futurs bacheliers pour l’épreuve de philosophie car elle invite à la réflexion dans une critique constructive. Décrypter en profondeur les besoins demande échanges et partages entre différents courants. Mais il ne faut pas se voiler la face, les esprits « martiaux » ne sont pas forgés dans le transfert des compétences, souvent pour des raisons mercantiles, d’égocentrisme et/ou de clientélisme. Le plus grand problème dans la communication « martiale », c’est qu’on n’écoute pas pour comprendre, on écoute pour répondre. Bruce Lee avait-il raison de dire « Ne tenez pas compte des opinions et des méthodes conventionnelles » ? Je le pense. D’ailleurs, des écoles ou des personnalités ont suivi la démarche du petit Dragon pour proposer une défense personnelle plus proche de la réalité tels L’A.D.R.V©, le Krav Maga NG, Robert Paturel et sa boxe de rue, L’ADAC, Charles Joussot, Richard Dimitri, Tony Blauer, Jim Wagner, Darren Laur, Geoff Thompson... Après 44 ans passés dans le monde du combat rapproché et des arts martiaux, plus j’avance dans la vie, plus je suis convaincu que seul importe l’essentiel, le reste n’est que secondaire. Mais pour comprendre l’essentiel, il faut apprendre à désapprendre pour mieux intégrer ce mot en toute humilité. Si je vous dis que la majorité des Français n’est pas préparée à un effondrement de la normalité (agressions, catastrophes...), je vais recevoir une volée de bois vert, sans aucune forme de procès. Pourquoi ? Tout simplement parce que les gens préfèrent entendre ce qu’ils veulent écouter et voir ce qu’ils veulent regarder. Comme le souligne le docteur en psychologie David J. Lieberman, spécialiste en comportement humain, « Rares sont ceux qui s’efforcent véritablement de voir ce qu’ils n’ont pas envie de voir, d’entendre ce qu’ils n’ont pas envie d’entendre et de croire à ce qu’ils aimeraient ne pas croire. Notre désir de ne pas voir agit comme un filtre contre l’information vitale, qui, souvent, nous permettrait de découvrir où est la vérité ». Notre civilisation est victime des stratégies de manipulations qui engendrent les certitudes et les servitudes inconscientes.
Rénover la self défense conventionnelle, oui, mais d’abord il faut s’interroger sur la manière de le faire, avec qui et pourquoi (à l’instar d’un cahier des charges). Pour débattre sur la self défense sans froisser les susceptibilités, seule une critique constructive exprimée de façon assertive permettra de nourrir la réflexion, d’exprimer ses sentiments et ses arguments, tout en respectant ceux des autres. Mais une condition s’impose : Fournir des informations justifiées, spécifiques, objectives, utiles et positives en faisant abstraction de ses croyances, de ses préjugés et de ses émotions. Facile à dire, mais pas si simple à faire car cette démarche demande une remise en question personnelle (et/ou collective), nous invitant à la plus grande modestie. Hors, tout le monde n’est pas prêt d’abandonner ses « acquis », même les plus illusoires. Alors, comment débattre sans tomber dans des guéguerres « inter-styles » stériles, sans être frappé d’anathèmes aux noms d’oiseaux et sans pratiquer le Yakafokon-Do ? ... »
A suivre dans le prochain n° de Dragon Magazine